Une Séquence proposée par Pascal MAURIN enseignant certifié et Isabelle SOUHAIB enseignante agrégée d’économie et gestion, Chargée de Mission auprès du corps d’inspection, lycée Paul Eluard, St-Junien (87) Académie de Limoges.
(Voir le site de l’établissement dans la carte des lycées et CFA de la filière de formation).

Ces séquences se situent en première année et sont une première approche des compétences visées, compétences qu’il conviendra de solliciter à nouveau lors d’ateliers de professionnalisation.

L’approche se veut progressive mais aussi adaptée à des étudiants devant acquérir des automatismes en vue de l’épreuve certificative.

Introduction

La gratuité au coeur de la stratégie de prix du musée



Le débat sur la gratuité des musées n’a plus lieu d’être. La gratuité de l’entrée est devenue un élément parmi d’autres des stratégies de prix des musées, au service de leur accessibilité.
Valeur fondatrice des musées, la gratuité à l’entrée fait partie de leur idéologie originelle. Dans les années 1980, alors que les musées font progressivement appel au marché, la gratuité fait l’objet d’un débat passionné et récurrent qui tourne en sa défaveur. Aujourd’hui, dans un monde muséal presque consensuel sur le nécessaire appel au marché, la gratuité est revenue sur le devant de la scène muséale. Au Royaume-Uni, tous les musées nationaux sont à nouveau gratuits depuis
2001. En France, les musées nationaux et parfois municipaux sont gratuits tous les premiers dimanches du mois. Depuis décembre 2001, les collections permanentes des musées de la ville de Paris sont ouverts gratuitement à tous. Ailleurs en Europe, on voit fleurir diverses mesures de gratuité.

Comment expliquer le paradoxe de ce retour ? Quelle place tient la gratuité aujourd’hui dans lesmusées, alors qu’ils sont devenus des organisations culturelles de marché ? Quel est son rôle ? Quelles sont les représentations de la gratuité des acteurs des musées contemporains ?

Une recherche portant sur les facteurs de la décision des prix des musées à l’étranger a permis de fournir des réponses à ces questions. Une étude qualitative et inductive des politiques tarifaires de 22 musées, au Canada, au Royaume-Uni, en Italie et en Espagne, a été réalisée dans un but exploratoire entre octobre 2000 et 2001. Les données ont été produites de manière triangulée (entretiens directifs, travail documentaire et observation directe ), puis interprétées par une analyse qualitative de contenu. Les analyses font apparaître que la gratuité est devenue aujourd’hui une action prix comme une autre, intégrée à la stratégie de prix que les musées mettent désormais en oeuvre. En conséquence, le débat historique entre partisans et opposants
de la gratuité n’a plus lieu d’être. Cet article propose une synthèse de ces analyses, illustrées par quelques exemples des musées étrangers étudiés.
La gratuité est associée à l’idée même de musée. En effet, les collections sont perçues comme une propriété collective (ou, en tout cas, comme devant être à la disposition du collectif). En outre, le musée est un lieu de formation à l’art pour initiés d’abord et un outil d’éducation populaire ensuite.
À partir des années 1920 en France, et tout au long du XXème siècle en Europe, les musées instaurent des droits d’entrée. Cependant, l’esprit de la gratuité domine jusque dans les années 1970. La plupart des musées ouvrent leurs portes au public moyennant des droits d’entrée symboliques, et certains encore gratuitement. Ils sont suffisamment financés par des subventions publiques ou des fonds privés. Le prix n’est pas encore un instrument de gestion pertinent.
Les droits d’entrée servent alors une logique de politique culturelle. Instaurés pour maintenir ou enrichir les collections, ils restent modestes et les institutions conservent un accès gratuit un ou plusieurs jours de la semaine.
Propriété collective, symbole de démocratie, lieu de formation pour professionnels et amateurs de la discipline exposée et d’éducation pour tous, institution de service public, le musée se doit d’être accessible à tous. La politique tarifaire procède de cet impératif. Les droits d’entrée, les catégories de réduction, les exemptions, les formules tarifaires... sont définis en adéquation avec les types de fréquentation, régulière, éducative, sociale. II faut noter cependant que, dans le même temps, - et ce n’est pas le moindre des paradoxes - le public de masse et la conception
moderne du public ne sont pas au centre de la représentation des musées et des monuments.
Dans les trente dernières années, à des rythmes variables, les musées se sont mis à étudier avec attention toutes les possibilités d’augmenter leur financement en développant des ressources propres, notamment par les droits d’entrée aux collections permanentes, aux expositions et aux
événements spéciaux, par les ventes de produits dérivés et par tout autre activité. Sous la pression de la baisse des financements publics et privés, de la croissance des coûts et des besoins grandissants de développement des musées, ainsi que d’une volonté d’autonomie organisationnelle et d’une politique de démocratisation des publics, les musées font appel au marché.
Le phénomène débute aux États-Unis :

"Enfin, le grand public devint adhérent et membre actif de ces institutions. Sollicité par des campagnes médiatiques, il vint en foule voir les premières grandes expositions-événements (blockbusters) des années 1970, celle de Toutankhamon par exemple, affirme Gérald Selbach.

Le mouvement se poursuit au Royaume- Uni dans les années 1980, puis dans toute l’Europe, alors qu’une multitude de musées indépendants fleurit et que les financements publics se révèlent insuffisants pour couvrir les besoins des musées.

En conséquence, les droits d’entrée se multiplient et augmentent au musée. La décision tarifaire, gérée comme un prix, apparaît comme une pratique de plus en plus sophistiquée. Le new public management » des musées, l’hybridation public-privé de leur gestion et le développement des musées privés expliquent que les musées délaissent progressivement la notion de tarif pour clairement embrasser celle de prix.
Devenu prix, le droit d’entré devient, au sens de la littérature managériale, un attribut de valeur de la relation d’échange ; au sens plus large, il devient un vecteur de lien social, c’est-à-dire un objet d’interaction entre personnes (ou organisations), entre consommateur et produit, entre entreprise et marché. Plus encore, le prix à l’entrée devient une variable stratégique, c’est-à-dire un instrument de la stratégie des musées leur permettant d’atteindre leurs objectifs : principalement l’autonomie, la croissance ou la survie, et l’accessibilité. Les degrés d’apprentissage du rôle stratégique du prix varient toutefois suivant les pays : élevé aux Etats-Unis, au Canada et au
Royaume-Uni ; moyen à faible en Italie, en France et en Espagne, par exemple. Des plages de gratuité sont intégrées dans ces stratégies de prix. La mesure de gratuité devient alors une action prix comme une autre, s’adressant à des segments particuliers du public.
Dans la plupart des pays aujourd’hui, les musées sont payants, tout en incluant des plages de gratuité ponctuelles ou régulières, sociales, catégorielles... À l’inverse, au Royaume-Uni, les musées nationaux sont gratuits, mais proposent une offre périphérique développée payante, à l’instar de plusieurs grands musées américains (par exemple le J. Paul Getty Museum à Los Angeles ou le Metropolitan Museum à New-York). Soumis comme les autres à la pression financière mais souhaitant rester en conformité avec l’idéologie originelle du musée, ces institutions ont inventé un modèle de gestion viable à leur échelle : la gratuité comme stratégie marketing.
La gratuité proposée à l’entrée est financée en partie par la construction active d’une
entreprise commerciale autour du musée
 ; elle semble en retour induire un volume d’activité périphérique plus élevé que si les visiteurs acquittaient des droits d’entrée. À de rares exceptions près, la mesure de gratuité n’est donc plus à considérer seule aujourd’hui, mais dans le cadre d’un équilibre économique défini entre les prix de l’offre centrale et celui de l’offre périphérique.
Parallèlement, à la fois cause et conséquence de l’appel au marché, les musées se sont
effectivement démocratisés. Ils ont élargi leur public et intégré des objectifs éducatifs.

Comme l’écrit Dominique Poulot : "Il est clair que le dessein de partage d’un patrimoine s’est radicalement démocratisé, tandis qu’émerge l’idéal d’un nouveau visiteur, prompt par exemple à (se) jouer des dispositifs interactifs, des environnements ludiques. Pareille représentation des publics n’est certes pas plus réelle que celle des stratégies didactiques du siècle dernier, qui identifiaient le
visiteur à un élève docile » Néanmoins, c’est celle qui est légitime aujourd’hui et qu’il faut retenir pour comprendre que la mesure de gratuité est devenue l’expression de cette volonté de démocratisation culturelle ; elle sert l’accessibilité du musée, vecteur, au-delà même de la démocratisation du musée, de son rôle social.
Un grand nombre de musées payants offrent des plages de gratuité pour attirer les visiteurs les plus défavorisés ou ceux pour lesquels le fait de payer constituerait une barrière. C’est le cas des musées publics (par exemple, le Musée canadien des civilisations à Hull) et des musées
privés (par exemple, le Bata Shoe Museum à Toronto, ou le Museo Bagatti Valsecchi et le Museo Poldi Pezzoli à Milan), y compris parmi les plus chers, qu’ils soient publics ou privés (par exemple, les Musei Vaticani à Rome, le Royal Ontario Museum à Toronto ou le Riksmuseum à Amsterdam).
Dans les années 1980, cette contradiction d’un musée payant se voulant pourtant démocratique a suscité un débat passionné entre « fondamentalistes » et « pragmatiques ». Cependant, la proposition est faite ici que ce débat autour de la gratuité n’a pas plus lieu d’être. Désormais, les musées déploient des stratégies de prix dans lesquelles ils intègrent la gratuité, même permanente : l’idéologie pragmatique domine donc.
Vieux serpent de mer dans le monde des musées, puisqu’elle remonte à la fin du XIX° siècle, la controverse de la gratuité se cristallisait sur des arguments de différentes natures : politiques, économiques, gestionnaires. Cinq points de querelle étaient saillants : le coût économique de la gratuité ; le changement de l’identité du musée contre la conformité à son idéologie originelle ; l’impact de la gratuité sur la fréquentation l’équité ou non de la gratuité ; l’impact de la gratuité sur la valeur perçue du musée ou de la visite au musée. Ce débat sur la gratuité est résolu. Il n’intéresse d’ailleurs plus autant le monde muséal que par le passé. Le pragmatisme domine.

En effet, la contradiction apparente de l’accomplissement des missions et de la nécessité d’assurer le développement, voire la survie, ne peut plus être pensée comme telle. Les musées ont intégré cette dualité par des réponses variables suivant leur pays d’appartenance ou leur statut, réponses qui permettent d’intégrer l’objectif d’accessibilité par des mesures de gratuité dans la stratégie de prix.

  • Par exemple, le Museum of British Road Transport de Coventry, après avoir fait payer l’entrée depuis son ouverture en 1980, est revenu en 1997 à une gratuité totale, y
    compris de ses activités culturelles. Cette gratuité a été choisie de manière stratégique, en partenariat avec les financeurs publics et privés, parce qu’elle permet à la fois une
    meilleure fréquentation et une meilleure activité économique locale. Si ce modèle idéal
    reste exceptionnel, les différentes politiques culturelles nationales et les différentes
    organisations muséales, quand elles sont autonomes, ont réussi à définir des compromis entre prix et accessibilité, même si les équilibres entre l’un et l’autre sont parfois inégaux.

    Le récent retour à la sacro-sainte tradition de gratuité d’accès des musées britanniques, qui pourrait retentir comme une petite victoire des fondamentalistes dans un monde muséal de plus en plus pragmatique, confirme au contraire la domination du modèle pragmatique. En effet, ce sont les musées qui pratiquaient déjà la gratuité qui ont eu le plus de difficulté à gérer les nouvelles concurrences induites par la gratuité totale et qui, finalement, ont dû s’adapter.
    Outre l’impératif économique, devenu incontournable, et le contexte de libéralisation croissante, les pragmatiques ont clos le débat sur la gratuité par une question centrale :

    Dans quelle mesure la culture s’avère-t-elle vraiment plus accessible les jours de gratuité ?



    Plusieurs étude s’accordent pour affirmer que la gratuité généralisée de l’entrée n’apparaît plus comme un moyen pertinent pour faire venir de nouveaux publics au musée. L’accès égal à la culture, et notamment au musée, ne passe plus tant par le prix que par des incitations plus ciblées. Ces études convergent également pour dire que l’instauration d’une mesure de gratuité à l’entrée, ponctuelle, régulière ou permanente, bien communiquée, augmente la fréquentation à court terme, par un honeymoon effect, mais ne change rien à la fréquentation après coup. Ce n’est pas le prix à l’entrée qui limite la fréquentation des musées, mais beaucoup d’autres facteurs dont, en premier lieu et comme pour toutes les activités culturelles, l’implication ou
    l’intérêt, et, ensuite, le coût non monétaire de la visite (la visite au musée n’est jamais gratuite sur les plans psychologique et matériel).
    La gratuité à l’entrée n’est donc pas le problème. Bon nombre de musées semblent avoir découvert qu’un prix à l’entrée et l’établissement de prix pour d’autres services pouvaient être conciliables avec l’accessibilité de tous (personnes aux moyens financiers limités, visiteurs réguliers, etc.) grâce à des réductions, des exonérations, des cartes d’abonnement et autres formules tarifaires. Le Science Museum, un des musées les plus chers de Londres jusqu’en 2001, est un cas d’école en la matière.
    En conclusion, la gratuité, qui reste un idéal du monde muséal, est aujourd’hui intégrée de façon pragmatique a la stratégie des prix des musées, comme outil marketing. Le débat "gratuité versus droits d’entrée" est dépassé.
    Cependant, même s’ils ont renoncé par réalisme au "tout gratuit", les responsables des politiques muséales et culturelles restent fortement attachés à la gratuité en tant que valeur idéale du musée.
    Les représentations du prix dans les musées sont généralement négatives, particulièrement en Europe. Comme le souligne Sylvia Bagdali  : L’ensemble des pragmatiques présentent le plus souvent la non-gratuité comme un « mal nécessaire". Ainsi, l’idéal est sauf, même s’il a dû composer avec un principe de réalité.
    Les convictions affichées traduisent le plus souvent les connotations positives attachées à la gratuité, notamment par rapport au public. Évoquant la politique tarifaire du Louvre et notamment les dimanches gratuits, Claude Fourteau pose une question cruciale :

    "Cet idéal de partage de la culture est-il porté également par le public ?"


    . Rien n’est moins sûr.
    Reste, en effet, à comprendre maintenant comment le musée peut utiliser au mieux la gratuité dans sa stratégie de prix : quelles formes de gratuité pour quels publics, avec quels projets d’usage et quels comportements liés ?
    Il s’agit, en somme, de savoir à quoi sert la gratuité pour le public.

ANNE GOMBAULT, professeur à Bordeaux École de Management.
Responsable de la chaire Arts, culture et management en Europe (Cerebem).

Elaboration de la Prestation Touristique

Déroulement de séance - Professeur 1
Déroulement de séance - Professeur 2
Déroulement de séance - Professeur 3

Énoncé - Cité du cuir - Étudiants
Musée de l’oise - Qu’est-ce qu’un musée ?

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